En 1987, un an après la chute de la dictature des Duvalier, paraît un ouvrage intitulé Quand la nation demande des comptes. Son auteur, Alain Turnier, y met en lumière une constante dramatique de l’histoire politique haïtienne. Le pouvoir s’y exerce non comme un moyen de transformation collective, mais comme un instrument de revanche. À chaque changement de régime, l’élite montante ne cherche pas à refonder l’État ni à élargir la participation populaire, mais à anéantir ses prédécesseurs et à capter les privilèges du pouvoir, perpétuant ainsi une dynamique de recyclage des violences et des exclusions. Cette logique de revanche, profondément enracinée dans la culture politique haïtienne, empêche toute véritable consolidation institutionnelle.
Turnier écrit à ce propos : « En Haïti, le pouvoir est moins transmis que conquis ; et lorsqu’il est conquis, il est purgé de ses anciens détenteurs avec une rage qui n’a d’égale que l’impuissance à construire autre chose. » Ce constat acerbe révèle que la politique haïtienne demeure prisonnière d’un cycle de règlements de comptes, où l’État devient un butin plutôt qu’un instrument au service de la nation. La « demande de comptes » formulée par la société n’est jamais entendue, car chaque nouveau pouvoir, au lieu de répondre à l’exigence de vérité et de justice, reconduit les dynamiques d’exclusion, d’impunité et de prédation. Plus de trois décennies plus tard, le tableau dressé par Turnier demeure d’une brûlante actualité. À ceci près que les pratiques délétères qu’il dénonçait, s’exercent désormais sous un vernis institutionnel façonné sur mesure pour Haïti par une certaine Communauté internationale et incarné aujourd’hui par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT).
Ce CPT, véritable cartel institutionnalisé derrière les façades honorables de la République, réussit l’exploit de réunir, au sommet de l’État, une amalgame toxique de personnages aussi usés que nuisibl ou es. Des figures jadis enragées contre le système, aujourd’hui parfaitement intégrées au cœur de sa décomposition. On y retrouve d’anciens dirigeants couverts d’échecs, blanchis par l’oubli et jamais inquiétés pour les désastres qu’ils ont semés. L’alliance, que l’on croyait contre-nature, a finalement accouché sous l’œil attendri de l’ambassade américaine d’une créature politique difforme, grotesque et profondément corrompue. Ces fonctionnaires coloniaux, fossoyeurs de la République, recyclés en pompiers pyromanes, sont les intendants serviles de la dépendance haïtienne.
• Les ennemis se donnent la main pour mieux trahir la nation
Les membres de ce Conseil, manifestement allergiques à la moindre revendication populaire, préfèrent s’écharper entre eux dans des querelles dignes d’une tragédie de bas étage. Ils feignent de se déchirer au nom de la transparence, alors que chacun s’active en coulisses pour s’emparer du gâteau national, tout en jouant la comédie du partage républicain. Leur propre création politique, Alix Didier Fils-Aimé, vient d’être sacrifiée sur l’autel de la vertu retrouvée. Le coordonnateur actuel du CPT, dans un numéro d’hypocrisie magistrale, l’accuse de tous les péchés ; quatre exactement, comme si lui-même n’était pas trempé jusqu’au cou dans les mêmes combines mafieuses. Dans ce théâtre de règlements de comptes entre gangsters costumés ou en guayabera amidonnée, le crime n’est jamais jugé en soi, mais selon qui le commet.
Dans ce champ de ruines qu’ils appellent « gouvernance » par réflexe bureaucratique, les ennemis de circonstance, habitués à se chamailler sous les projecteurs, rivalisent désormais d’agitation vaine dans une cacophonie de faux désaccords. Mais, quand il s’agit de ligoter la nation à une nouvelle farce institutionnelle, les voilà miraculeusement soudés, parfaitement alignés. Ils rappellent des musiciens d’orchestre funèbre jouant la marche de notre capitulation. Le 3 juillet dernier, dans une belle harmonie de cynisme, ils ont collectivement entériné la basse besogne des croque-morts en publiant un décret référendaire dont l’illégitimité rivalise avec l’indécence. Une charte de compromissions honteuses, de tractations nocturnes, d’arrangements entre voyous en costume et parrains en chemise diplomatique.
Le changement de constitution ; une véritable saison de chasse aux magouilles, où les fonds publics se mettent à danser du bon compas surtout en saison champêtre. Per diem gonflés, frais de mission extravagants, rétrocommissions en coulisse. Le business constitutionnel est lancé ; sans surprise, la machine s’est remise à ronronner comme une vieille imprimerie de faux billets. Une délégation pléthorique, digne d’un cortège princier, s’apprête à quitter Port-au-Prince pour aller vendre leur projet à la diaspora haïtienne. Canada, France, États-Unis, et pourquoi pas le Brésil ou le Chili seront peut-être de la tournée. Le grand cirque va déployer ses tentes, ils appellent cela une « opération de sensibilisation », mais il s’agit en réalité d’un vaste exercice de blanchiment politique. L’objectif est d’enrôler la diaspora dans un processus dont elle ignore le contenu réel de l’avant-projet, les auteurs de l’ombre, et surtout les intentions inavouables.
Les membres du CPT, architectes zélés de la débâcle en cours, sont portés à bout de bras par leurs parrains d’ici et d’ailleurs ; dont les diplomates compatissants, les ONG complices et les élites locales voraces. Ils osent, sans rougir, imposer à un peuple dépouillé de tout droit une constitution sortie d’on ne sait quel laboratoire de domination. Les brillants stratèges du CPT se comprennent à merveille ; là où tout échoue, la trahison prospère. Ainsi progresse Haïti ; à la manière du CPT, dans sa brillante invention de l’inoubliable transition-gangstérisation.
• À cette imposture, répondons par l’insurrection
Face à cette vaste escroquerie politique déguisée en réforme constitutionnelle, la nation ne peut plus se taire en spectatrice impuissante. Une poignée d’individus sans aucun mandat populaire s’arroge le droit sacrilège de rédiger, en catimini et entre initiés, un prétendu pacte social pour régir le destin de douze millions d’Haïtiens. Ce référendum n’est pas un acte démocratique ; c’est une opération de confiscation de la souveraineté nationale, un coup de force maquillé en processus institutionnel. Il doit être combattu et stoppé net avec une détermination sans concession, car il incarne le mépris absolu des droits du peuple et la continuité coloniale sous le label « transition ».
Le moment est venu de reprendre ce qui nous a été volé ; pas seulement un pays, mais une dignité, une histoire, une espérance. Le CPT, son gouvernement-potiche, son Conseil électoral de connivence, et toute la brochette d’« experts » recyclés ne sont rien d’autre que les gestionnaires dociles d’un système criminel en bout de course. Un système qui tue, appauvrit, dépossède, gangstérise, et transforme la misère en silence. Il n’est plus question de le réformer. Il doit être balayé, sans délai, par une insurrection nationale digne de ce nom. Car à ce niveau de trahison, la résistance cesse d’être un droit ; elle devient un devoir sacré.
C’est dans cet esprit qu’est affirmée l’urgence de mettre en place une alternative crédible pour un véritable sauvetage national. Celle-ci s’articule ainsi :
Un Collège de sept personnes composé de :
• trois représentants du Conseil de l’Université d’État d’Haïti (UEH),
• un représentant des Universités Publiques en Région (UPR),
• et trois représentants du Regroupement des Universités Privées du pays.
Après sa constitution, ce Collège engagera, dans un délai n’excédant pas deux semaines, des consultations nationales véritablement inclusives. Sa mission, limitée dans le temps, s’achèvera après la sélection de vingt personnalités crédibles; dix femmes et dix hommes, venues des dix départements et de la diaspora. Ce collectif aura pour responsabilités :
1- Élaborer une feuille de route claire et ambitieuse en une semaine, capable de restaurer l’ordre et la sécurité, de lancer une réforme institutionnelle de fond et de préparer des élections réellement souveraines, débarrassées des logiques clientélistes et de l’ingérence internationale.
2- Désigner un(e) président(e) de transition en une semaine, sur la base d’un large consensus national, une personnalité intègre et indépendante des pouvoirs politiques, économiques et étrangers, avec pour mission de faire respecter scrupuleusement la feuille de route.
3- Mettre en place un gouvernement de salut public restreint en deux semaines, sans Premier ministre, dirigé par le président de la République, composé de femmes et d’hommes compétents, intègres, affranchis des réseaux de pouvoir traditionnels, et soumis à une obligation stricte d’exécution.
4- Assurer le contrôle permanent de l’action gouvernementale : ces vingt personnalités, investies des prérogatives d’un Sénat provisoire, resteront en fonction jusqu’à l’installation de la prochaine législature. En cas de corruption, de prévarication ou de crime avéré, elles auront le pouvoir de révoquer tout membre du gouvernement, y compris le président de transition, et d’en assurer le remplacement.
Entre la résignation et l’insurrection, il faut choisir.
Grand Pré, 15 Juillet 2025
Hugue CÉLESTIN
Membre de : Federasyon Mouvman Demokratik Katye Moren (FEMODEK)
Efò ak Solidarite pou Konstriksyon Altènativ Nasyonal Popilè (ESKANP)